Trois poilus dans la tourmente de la guerre
Il y a cent-dix ans éclatait la première guerre mondiale. Un million et demi de soldats français ont trouvé la mort dans ce conflit qui dura plus de quatre ans. À cette période, trois de mes quatre arrière-grand-pères ont quitté leur famille pour monter au front. Seuls deux d'entre eux en sortiront vivants. En ce 2 août 1914, mes trois poilus, tous paysans, sont probablement occupés à faire les moissons, lorsque, chacun dans leur village et comme partout en France ils entendent résonner le tocsin. Cette fois, c'est la bonne: la mobilisation générale est déclarée: il va falloir partir au front.

Laurent Thuret, posant fièrement dans son uniforme du 13ème de ligne en 1890
À Saint-Julien de Civry, en Saône-et-Loire, Laurent Thuret se prépare. Ce cultivateur de 44 ans est mobilisé le 3 août, il doit laisser sa femme Marie et leurs cinq enfants. Il est d'abord affecté au GVC, les gardes de voies de communications, chargés de surveiller des points stratégiques ( voies ferrées, lignes télégraphiques, par exemple). Affecté ensuite au 60ème puis au 98ème régiment d'infanterie, il est provisoirement renvoyé dans ses foyers le 11 décembre 1914, et pourra passer la fin de l'année auprès de sa famille, avant d'être rappelé à l'activité en avril 1915. Affecté à la 7ème section de C.O.A. ( commis et ouvriers militaires de l'administration) il effectue du travail de bureau d'octobre 1915 au printemps 1916. On l'affecte ensuite à la Compagnie Nationale des Radiateurs, à Dôle (Jura), jusqu'à l'été 1917. Il y travaille comme manœuvre. Le 10 janvier 1917, il est en congé forcé pour deux mois suite à un accident du travail qui lui a causé une fracture du tibia et du péroné. Détaché agricole en août 1917, Laurent regagne définitivement son foyer. Devenu père d'un sixième enfant ( ma grand-mère) le 19 janvier 1918, il est dégagé de ses obligations militaires. Un septième enfant naîtra en 1920. Laurent profitera encore longtemps de sa nombreuse famille, avant de s'éteindre le 11 juillet 1946, à 76 ans.

Auguste Lafon, élégant et grave dans son uniforme du 139ème RI en 1895
Auguste Lafon est , à l'époque de la mobilisation générale, cultivateur au village de Crouzit, sur la commune de Chalvignac, près de Mauriac (Cantal). Son épouse Joanna et leur fils unique Maurice, âgé de cinq ans, sont sa seule famille proche. Le couple a eu, entre 1900 et 1909, cinq autres enfants, tous morts en bas âge. Une période éprouvante durant laquelle Joanna a dû faire face seule la plupart du temps, car son époux travaillait loin de la maison, en banlieue parisienne. Revenu définitivement au village en 1910, il espérait couler des jours heureux auprès de sa femme et de son fils sur leur petite propriété. En ce milieu d'été, il doit partir immédiatement rejoindre son régiment, à Aurillac. Le 139ème régiment d'infanterie combat d'abord dans les Vosges, puis dans la Somme et en Belgique. C'est près d'Ypres, le long canal de l'Yser, qu'Auguste est fauché par un éclat d'obus le 29 mai 1915. Minée par cette perte, sa veuve Joanna vieillit prématurément. Son fils et sa belle-fille doivent se résoudre à vendre la propriété de Crouzit et à la placer à l'hospice d'Aurillac. Le dernier bonheur de sa vie sera de connaître son premier petit-fils, né en 1934. Joanna s'éteint le 4 janvier 1936, à 66 ans.

Gabriel Veyssière, sur la photo qui figurait sur sa carte d'ancien combattant.
Gabriel Veyssière, à l'été 1914, est un jeune vacher de 28 ans, et aussi un jeune marié. Il a épousé Berthe Vigouroux au printemps précédent. Le couple, qui vit au bourg de Saint-Vincent de Salers (Cantal), s'apprête à accueillir son premier enfant, qui doit naître en janvier. Il n'est pas immédiatement convoqué, et , alors que la commune déplore déjà plusieurs morts, il passe finalement au conseil de révision le 5 décembre 1914. Déjà exempté du service militaire en 1907 pour " faiblesse générale", il est "maintenu dans sa situation" et regagne son domicile. Sa fille aînée, Marie-Louise - qui épousera vingt ans plus tard Maurice, le fils d'Auguste- vient au monde le 23 janvier 1915. Sa sœur cadette, Jeanne, n'a pas un mois lorsque Gabriel se voit contraint de passer à la commission de réforme le 31 mars 1917 et est, contre toute attente " classé en service armé". Le conflit s'éternise, les morts s'accumulent, et l'armée recrute tous les hommes disponibles. Mais comment Gabriel, qui n'a presque aucune formation militaire, va-t-il s'en sortir ? Il rejoint son régiment le 24 mai. Trimballé dans quatre régiments différents en deux ans, il restera d'abord éloigné du front, faisant une " campagne simple" jusqu'au 28 décembre 1917. Puis il effectue une " campagne double" ( sur le front) jusqu'au 11 mars 1919. Il s'en sort sain et sauf et peut enfin regagner son foyer et retrouver sa famille. Gabriel reprend son métier de vacher, vivant l'hiver au village, et l'été à l'estive, dans les burons. C'est là-haut, sur le plateau, qu'il meurt subitement le 18 juin 1954.
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