Un trou dans la tête
- houelse
- 11 nov.
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Jules Ducher était un soldat de quatorze. Il est rentré du front en 1917 avec un trou dans la tête, mais sa grave blessure, qui le handicapa à vie, n'était pas due aux combats.

Jules, Antoine Ducher a vu le jour à Saint-Vincent de Salers (Cantal), au coeur de la vallée du Mars, le 14 décembre 1888. Cousin issu de germain de mon arrière-grand-mère Berthe Vigouroux, ils avaient pour ancêtre commun Antoine Ducher. Il était le dernier des cinq enfants d' Antoine Ducher et Élise Chambon, héritiers du domaine de Méric, autrefois tenu par Anne Mathieu.

Il grandit sur la ferme familiale auprès de ses aînés Antoine, Joseph, Augustin et Marie-Louise. Comme la tradition l'exige, Antoine sera l'héritier du domaine. Les autres y seront domestiques avant de faire leur vie ailleurs. Joseph ira vivre en banlieue parisienne, du côté de Versailles. Augustin fera des études pour devenir instituteur. Marie-Louise épousera en 1907 son cousin germain Augustin Sarret, cultivateur à Pleaux.
Jules, quant à lui, après avoir été durant quelques années domestique sur la ferme dont héritera son frère aîné, quitte le village pour la capitale. Il y exerce le métier de garçon ferrailleur, tout comme le fit son grand-oncle Antoine Ducher. Recruté par le 92ème régiment d'infanterie, il y effectue son service militaire de 1909 à 1911. Après quelques années passées à Paris, Jules revient dans la vallée. À l'époque de son mariage il vit de nouveau à Méric.
Le 27 juin 1913, il épouse à Moussages ( une commune voisine) Marie-Antoinette Chanut, née à Mauriac en 1893. Le jeune couple s'installe à Moussages et l'ombre de la guerre plane sur la France lorsqu'ils s'apprêtent à accueillir leur premier enfant. Le 3 août 1914, Jules est mobilisé et rejoint son régiment. Maurice, son premier fils, naît à Moussages le 23 mars 1915. Dans les tranchées, Jules survit, quelques permissions lui sont accordées. Le 11 février 1916, Marie-Antoinette donne naissance à un deuxième fils, Fernand. De retour au front, la guerre continue. Un drame survient à l'automne avec la mort " pour la France" de Joseph, le frère aîné, " tué à l'ennemi" devant le fort de Vaux. La vie de Jules va basculer à l'automne 1917.

Les circonstances exactes de l'évènement ne sont pas précisées sur sa fiche matricule, mais il est indiqué que Jules a été grièvement blessé à la tête" par un coup de bâton donné par un camarade en état d'ivresse". La blessure fut si importante qu'elle nécessita une trépanation en raison d'une importante fracture du crâne. Autrement dit, un chirurgien a dû faire un trou dans son crâne pour soigner sa blessure. Le 15 octobre 1917, le soldat Ducher est reformé temporairement.
Jules ne retournera jamais sur le front, son degré d'invalidité est évalué à 40%. Il retourne dans son foyer, et la petite famille quitte Moussages pour s'installer au Vigean, près de Mauriac, où le 30 mai 1918, Jules se rend en mairie pour déclarer la naissance de son troisième fils qu'il a prénommé Joseph, comme son défunt frère.

En 1919, son état de santé s'améliore un peu et il est considéré handicapé à "seulement" 30%. La famille s'agrandit avec la naissance de Marthe. Les Ducher s'installent à Mauriac où Henri voit le jour en 1921. La même année, Jules est reformé définitivement car son état s'aggrave, il souffre d'importants maux de têtes, de vertiges et de crises d'épilepsie. Le degré d'invalidité est ramené à 55% et on lui attribue une pension permanente.

Jules accueille Gisèle, son sixième enfant, le 13 mai 1923. Trois mois plus tard, tandis qu'une féroce canicule embrase la vallée du Mars, on porte en terre Antoine Ducher, le père de Jules, qui vient de s'éteindre à l'âge de quatre-vingt-trois ans.

Augustin rejoint la famille en 1924, suivi d'Agathe en 1926. Jules Ducher et sa nombreuse famille s'installent peu après au village de Chabannes, commune de Méallet - prononcez "Miallet". Leur neuvième et dernier enfant, une fille prénommée Angèle, y voit le jour le 16 avril 1928. Jules cultive la terre pour faire vivre sa nombreuse famille, mais son handicap ne lui facilite pas la tâche et son état de santé se dégrade.
Jules Ducher s'éteint à son domicile des Chabannes le 10 juillet 1931. Il n'avait que quarante-deux ans et les circonstances de son décès ne sont pas connues ; il peut s'agir d'une violente crise d'épilepsie qui l'aurait terrassé ou bien d'un accident, peut-être dû à un malaise. Ses neuf enfants sont alors adoptés par la Nation. Le 15 septembre suivant, un autre drame frappe la famille : Agathe Ducher, cinq ans, rejoint son défunt père dans la tombe. Un à un, les enfants quittent le foyer pour s'en aller gagner leur vie. Marie-Antoinette survit comme elle peut mais sa santé décline aussi. Elle part vivre à Saint-Vincent auprès de sa mère, où elle s'éteint le 26 juin 1936.
Ses plus jeunes enfants sont recueillis par leur grand-mère maternelle, Jeanne Simon, veuve Chanut. Lorsqu'elle décède en 1941, la plus jeune des filles a treize ans et doit gagner sa vie. Certains de ses aînés sont déjà mariés et pères de famille. La plupart d'entre eux resteront vivre dans la vallée, où ils fonderont une famille, donnant aux défunts Jules et Marie-Antoinette qui ne les connaîtront jamais une vingtaine de petits-enfants.




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