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LES BILLARD- Le veuf du Plâtre

houelse

Debout au bord de la fosse, Jean Billard pleure sa Claudine qu'on vient d'ensevelir. Près de lui, ses quatre enfants partagent sa peine. Benoîte, l'aînée, a quatorze ans. C'est elle à présent qui devra s'occuper de la maison et des petits: Jean-Marie, onze ans, et Marguerite, huit ans, sont presque en âge de travailler. Jeanne, la petite dernière, n'a pas encore trois ans. Autour d'eux, dans le petit cimetière de Saint-Symphorien des Bois (Saône et Loire) entouré de collines verdoyantes, les gens commencent à repartir : une belle journée s'annonce, l'été approche et les travaux des champs n'attendent pas. Dans quelques minutes, Jean et ses enfants vont eux aussi repartir, en direction de leur maison du Plâtre, un hameau un peu éloigné du bourg. Sur le chemin du retour, Jean Billard se demande sans doute comment va continuer sa vie. Sûrement s'inquiète-t-il de l'avenir de ses petits. Il va avoir cinquante ans dans quelques jours, aura-t-il la force de s'occuper d'eux, une assez bonne santé pour les voir grandir? Il l'ignore encore, mais il lui reste quelques décennies à vivre, au cours desquelles il sera le témoin des incroyables bouleversements que s'apprête à engendrer la Révolution Industrielle déjà en marche. 

Bonaparte, Premier Consul. Tableau peint par Ingres vers 1803.

C'est à l'époque du Consulat que mon aïeul Jean Billard voit le jour au hameau de Giverdier. Quatrième des six enfants de Jean-Claude Billard et Louise Defay, il vient au monde le 27 prairial an X (16 juin 1802). Ses aînés se penchent sur son berceau pour contempler le nouveau venu: il y a là François ( quatorze ans), Claude (12 ans), Gabrielle ( 9 ans) et Jeanne (3 ans). Le père descend à la mairie le lendemain, en compagnie de Jean Joly et de sa femme Marie Lamure, pour déclarer la naissance au maire Jean-Pierre Janillon. Il est fort probable que le baptême ait eu lieu dans la foulée. Quatre ans plus tard, une dernière petite sœur, Claudine, vient compléter la fratrie. En ces débuts du Premier Empire, Jean-Claude et Louise Billard peuvent être fiers de ce qu'ils ont accompli: la relève est assurée avec une famille de six enfants en pleine santé. Tous vivent à Saint-Symphorien et cultivent la terre comme leurs parents. 

La campagne de France, d'Ernest Meissonier (1814) représente Napoléon et son armée arpentant un champ de bataille dévasté.

Claude, le deuxième fils, passera quelques années loin de chez lui, sur les champs de bataille napoléoniens. Après son retour au village, alors que Napoléon de trouve en exil et que la royauté a été restaurée, il a la joie d'assister au mariage de son frère aîné François en 1816. 



Napoléon à Sainte-Hélène, de Francois-Joseph Sandmann (1820)

Le 17 janvier 1818, le père, Jean-Claude Billard, s'éteint à son domicile de Giverdier. Jean n'a alors que seize ans. Son frère aîné  François, qui exerce la profession de maréchal à Faussepurcher, un proche hameau, se charge de la déclaration en mairie, accompagné d'un voisin nommé Labaune. Les années passent, et les rois se succèdent.


Louis-Philippe Ier, roi des Français de 1830 à 1848 ( portrait par Franz Xaver Winterhalter, 1839)

Jean, à l'époque de Louis-Philippe, travaille comme charpentier. À trente-cinq ans passés, il lui semble qu'il est temps de se trouver une épouse et de fonder une famille, comme l'ont fait ses aînés : François a un fils adolescent, Claude et Gabrielle viennent de se marier , Jeanne va épouser à l'automne Vincent Lambert, un paysan de Hautefond et sa soeur cadette, Claudine vit à Saint-Maurice-les-Châteauneuf avec son époux Jean Ginet et ses deux enfants. 




Le 20 février 1838, à neuf heures du matin, Claude Fayolle, conseiller municipal, célèbre en la mairie de Saint-Julien de Civry le mariage de Jean Billard et Claudine Fayolle.  Jean travaille comme charpentier à Saint-Symphorien,  et procède du consentement de sa mère Louise Defay.  Claudine est accompagnée par sa mère Philiberte Burtin, veuve Fayolle, avec qui elle vit au village de Civry. Les témoins sont les deux frères de Jean, Claude et François Billard, propriétaires et les deux frères de Claudine, Benoît et Antoine Fayolle, également propriétaires. Claude déclare ne pas savoir signer. La famille Fayolle est originaire de la région de Charolles. Le père de Claudine, Claude Fayolle, était entré comme gendre chez les Burtin en 1802. Née à Civry le 19 août 1810, Claudine est la cinquième de leurs six enfants. 




Jean et Claudine s'établissent au village du Plâtre, où ils sont propriétaires cultivateurs. Leur première fille, Benoîte, y naît le 22 novembre 1838. Jean déclare la naissance le lendemain, il est accompagné par ses deux frères. François est voiturier à Faussepurcher, et Claude est cultivateur à Giverdier, hameau où leur père était également cultivateur. La famille s'agrandit le 22 juillet 1841, avec la naissance d'un  fils, Jean-Marie. Suivront deux filles. Le 8 mars 1844, vient au monde mon aïeule Marguerite. Sa grand-mère, Louise Defay, aura la joie de la connaître. Brièvement, car elle s'éteint quelques mois plus tard, le 15 août, dans sa 75ème année. Une dernière fille, que l'on prénomme Jeanne, voit le jour le 18 août 1849. 




Trois ans plus tard survient le drame qui bouleversera la vie de Jean et de ses quatre enfants. Claudine Fayolle, épouse Billard, meurt le 10 juin 1852, à six heures du soir, âgée d'à peine 42 ans. Maladie, accident, fausse couche fatale? La cause du décès demeure inconnue. Benoît et Antoine Fayolle, les deux frères de la défunte femme de Jean Billard, se chargent de la déclaration en mairie. Un évènement dramatique, mais tellement banal à cette époque. 


Au Plâtre, la vie reprend. Après la chute de la Monarchie, la France est passée d'un Bonaparte à un autre : celui qui fut brièvement président devient empereur comme son oncle. Napoléon III s'installe au pouvoir pour deux décennies. Jean Billard cultive sa terre et vit avec ses trois filles, tandis que son seul fils, Jean-Marie, travaille pour d'autres fermiers. En 1861, ce dernier est domestique au Plâtre, chez Claudine Pegon, une veuve de 28 ans qui a trois jeunes enfants. Jean Billard a désormais un domestique pour l'aider à la ferme : François Gonnot, 15 ans, vit avec Jean et ses deux plus jeunes filles. Benoîte, âgée d'une vingtaine d'années, est placée comme servante et ne vit plus au Plâtre. Elle reviendra s'y installer quelques années plus tard. 

Le 19 février 1868, Jean Billard a la joie de conduire à l'autel une de ses filles : Marguerite épouse Jean-Marie Thuret, un  cultivateur de 31 ans, qui vit à Saint-Symphorien avec sa vieille mère. Le couple s'établit à La Taurauderie, un hameau voisin. Le 11 septembre 1869, de nouvelles réjouissances réunissent la famille Billard: Jean-Marie épouse Claudine Morel. Cette dernière vient rejoindre son époux sur le domaine familial du Plâtre. L'année suivante, Jean Billard devient grand-père pour la première fois : sa petite-fille Antoinette Billard voit le jour le 12 juin 1870. Jean fête ses 68 ans quatre jours plus tard. Chez Marguerite, c'est un garçon qui vient au monde le 17 août suivant : mon arrière-grand-père Laurent Thuret. Son frère Claude-Marie naîtra trois ans plus tard. 

Adolphe Thiers, premier président de la Troisième République ( source: Elysée.fr)

À cette époque, l'Empire Français est en crise, et proche de sa fin. Napoléon III déchu, la IIIème République est instaurée.

En 1872, la maison de Jean Billard est bien pleine : pas moins de huit personnes y vivent. Le patriarche du Plâtre accueille sous son toit: 

- sa soeur Gabrielle, âgée de 79 ans et désormais veuve, sans descendance.

- sa fille aînée Benoîte, éternelle célibataire de 34 ans, qui exerce le métier de couturière.

- sa fille cadette Jeanne, 23 ans

- son fils Jean-Marie et sa bru, ainsi  que leurs deux petites filles, Antoinette et Claudine-Marie. Antoine, né en 1875, et Eugénie, née en 1878, viennent compléter la fratrie. 


Le 27 décembre 1879, pour la deuxième fois Jean Billard se dirige vers l'autel au bras de sa fille : Jeanne Billard épouse Jean-Claude Dussauge. Né à Curbigny en 1850, il est employé au chemin de fer et réside à Mâcon. C'est dans cette préfecture que le jeune couple s'installe et fonde une famille qui comptera quatre enfants. 


Quelques temps plus tard, Benoîte quitte le domaine familial du Plâtre pour s'installer au bourg. Elle est servante du curé de Saint-Symphorien, Hyacinthe-Prosper Leclerc. Jean passe les dernières années de sa vie sur don domaine, entouré de ses petits-enfants. Lorsqu'il repense aux années , aux décennies qui ont passé si vite, il se rappelle le chemin parcouru depuis la mort de sa femme, il y a maintenant près de quarante ans. Il a fait fructifier son domaine, -aujourd'hui tenu par son fils-et élevé seul ses quatre enfants. Il n'a jamais refait sa vie. Il est maintenant un fier patriarche, grand-père de dix petits-enfants. La plupart vivent près de lui. Seule sa fille cadette, Jeanne Dussauge, a quitté le village pour trouver une vie meilleure.  Le développement du chemin de fer a désenclavé les campagnes et éloigné de lui l'une de ses enfants. Jean suit, de loin, la marche inexorable de ce progrès qui semble inarrêtable.


La gare de Mâcon, où vit la famille Dussauge

Dans la matinée du 24 janvier 1890, Jean Billard s'éteint à son domicile, vers dix heures. Son gendre Jean-Marie Thuret et son fils Jean-Marie Billard déclarent le décès en mairie. Quelques jours plus tard, il rejoint son épouse dans le petit cimetière du bourg. Allongés ensemble pour l'éternité, ils ont une vue imprenable sur leur ferme du Plâtre, où ils voient avec fierté vivre leurs descendants.


1 Comment


alain.blog
Sep 21, 2024

Merci pour ce parcours de vie de Jean Billard. Et bravo !

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