
La consultation des listes de recensement est un outil précieux pour les généalogistes: leur consultation peut s'avérer être une mine de renseignements sur les ancêtres que l'on recherche, permettre d'ouvrir de nouvelles pistes, découvrir l'existence de certains membres de la famille, savoir qui vivait sous le même toit, donner des indications sur la vie des communes et leur évolution. Si cet outil est une source féconde, il peut souvent amener plus de questions que de réponses. En 1866, la maison d'Anne Mathieu, veuve Ducher, au village de Méric ( commune de Saint-Vincent de Salers) est bien pleine: sept personnes de tous âges, tous membres de la famille, y cohabitent.
Il y a là :

1) Anne Mathieu

Veuve d'Antoine Ducher, chef de ménage et matriarche, Anne Mathieu est âgée de soixante-dix-neuf ans. Elle est née au village de Méric, au hameau de Colture sur la paroisse de Saint-Vincent, le 29 décembre 1787, du légitime mariage de Jean-Antoine Mathieu (1751-1819) et de Toinette Boudias (1754-1833).Le 12 août 1807, elle épouse Antoine Ducher, cultivateur et bouvier à Colture , né le 5 mars 1774, fils des défunts Antoine Ducher (1740-1791) et Marguerite Borderie (1743-1799). Le couple est propriétaire cultivateur au lieu-dit de Méric ( aussi appelé ''chez-Méric'') et a eu dix enfants :
• Antoine, né le 8 juin 1809
• Catherine, née le 25 décembre 1810
• Françoise, née le 2 mai 1813
• Marie, née le 28 février 1816
• Antoine, né le 24 mai 1818
• Marguerite, née le 20 février 1820
• Catherine, née le 24 mars 1822
• Antoinette dite Élise, née le 16 mai 1824
• Antoine, né le 13 février 1827
• Antoine, né le 2 octobre 1829
Tout ce petit monde s'entasse dans la propriété familiale, et grandit là. Certains d'entre eux y resteront toute leur vie, d'autres iront chercher fortune plus loin, notamment dans la capitale. À l'automne 1835, Françoise Ducher épouse Antoine Borderie. Leur fille Anne Borderie naît à l'été 1836. Ils iront ensuite vivre dans le onzième arrondissement de Paris. Antoine Ducher, le père, n'aura pas le bonheur de connaître sa première petite-fille : il décède le 18 avril 1836. C'est donc seule que le 29 novembre 1838, en l'église et la mairie du Vaulmier, Anne Mathieu marie son fils aîné - et futur héritier du domaine - Antoine, âgé de 29 ans. Il épouse Antoinette Borderie, 17 ans. Le jeune couple s'installe alors à Méric, sur la propriété familiale.
Leur fils aîné Antoine (encore un!) y naît le 7 janvier 1840. Le 16 février 1840, la nombreuse famille est à nouveau dans le deuil: Marguerite est morte, tout juste âgée de vingt ans. Petit à petit, les oiseaux quittent le nid: Marie, qui travaille comme servante au château de Chanterelle, épouse François Altier et part vivre à Trizac. Antoine est domestique de ferme dans la région, avant d'embrasser la profession de terrassier. Catherine ( la cadette), Antoinette et Antoine (le cadet né en 1829) s'en vont chercher du travail à Paris. Antoine ( celui qui est né en 1827) se marie en 1855 et après un bref passage dans la capitale, revient vivre à Saint-Vincent où il élèvera ses sept fils. Catherine ( l'aînée) reste célibataire et vit sur la propriété. A Méric, la tante Françoise Mathieu ( la soeur d'Anne) est venue vivre avec eux. La famille d'Antoine et Antoinette s'est considérablement agrandie, avec la naissance de sept autres enfants entre 1841 et 1854. Hélas, les plus jeunes d'entre eux n'auront de leur père qu'un vague souvenir : Antoine Ducher meurt le 28 juin 1855, laissant une veuve de 34 ans et une mère de 68 ans dans la douleur, ainsi que huit orphelins à élever. Le recensement de 1856 nous apprend qu' Anne Mathieu a recueilli l'une de ses petites-filles, Anne Dufayet. Née en 1854 à Saint-Vincent, l'enfant, qui porte le prénom de sa grand-mère, est la fille d'Antoinette Ducher et de Jean Dufayet, ferrailleur épousé à Paris en 1852. Orpheline de père depuis 1856, elle vit temporairement chez sa grand-mère à Colture, avant de rejoindre sa mère à Paris où elle deviendra institutrice puis directrice d'école. En 1866, Anne Mathieu est toujours à la tête de l'exploitation des Ducher, où elle vit avec sa bru, et cinq autres membres de la famille.
2) Françoise Mathieu
Françoise est la soeur aînée d'Anne Mathieu. Elle est née au hameau du Coudonnier, paroisse de Saint-Vincent, le 23 juin 1783. Elle a toujours vécu à Saint-Vincent. Âgée de quatre-vingt-trois ans, célibataire et sans enfants, elle habite avec sa sœur depuis au moins vingt ans. Elle s'éteindra le 31 décembre 1867.
3) Catherine Ducher
Catherine est une célibataire de cinquante-six ans, c'est la fille d'Antoine Ducher et Anne Mathieu. Née sur le domaine familial le jour de Noël 1810, elle y a passé toute sa vie. Elle y décède le 8 mai 1884.
4) Antoinette Borderie

Antoinette est la belle-fille d'Anne Mathieu. Née au Vaulmier - qui n'était pas encore une commune à part entière et faisait partie de celle de Saint-Vincent - le 18 janvier 1821, elle épouse à dix-sept ans Antoine Ducher, le fils aîné d'Antoine et Anne, qui en a vingt-neuf. Elle passe toute sa vie sur le domaine où naîtront les enfants du couple. Lorsque son époux meurt, en 1855, elle devient veuve à trente-quatre ans, mais peut compter sur le soutien de sa nombreuse famille pour élever ses huit enfants. Avec l'âge, elle semble avoir perdu la raison, puisque l'agent recenseur précise dans la liste de recensement de l'année 1872 qu'elle est ''aliénée''. Elle n'avait à cette époque que cinquante et un ans, peut-être souffrait- elle de ce que l'on n'appelait pas encore dépression, ou Alzheimer précoce ?
5) Antoine Ducher
Antoine a vingt-cinq ans, c'est le fils aîné de feu Antoine Ducher et Antoinette Borderie, et futur héritier de la ferme familiale. Il est né le 7 janvier 1840. Il n'a que quinze ans quand son père meurt, et sa plus jeune soeur à peine un an. Il lui a sans doute fallu beaucoup de courage à un si jeune âge, et la solidarité de toute sa grande famille, pour entretenir l'exploitation et subvenir aux besoins des plus petits. A-t-il accepté son rôle sans rechigner? Aurait-il préféré, comme certains de ses cadets, s'affranchir de sa rude vie de cultivateur, partir vivre sa vie ailleurs, s'installer à Paris où après quelques années de travail acharné il aurait pu s'offrir un logement plus moderne où élever sa petite famille et profiter du confort et des plaisirs de la grande ville, désormais bien plus accessible grâce au développement du chemin de fer? Ou bien était- il fier de cet héritage, de ce rôle évident que lui conféra dès sa naissance sa position de fils aîné ? Impossible aujourd'hui de répondre à ces questions.
6) Henri Ducher

Frère cadet d'Antoine, il est né le 28 août 1843. Il est cultivateur sur la ferme familiale et a toujours vécu auprès de sa mère et de sa grand-mère. Il semble être atteint de handicap mental, car dans la colonne ''observations'' des listes de recensement, il est indiqué ''idiot''. Était- il accepté comme un membre de la famille à part entière malgré sa différence, ou bien considéré comme un poids, une bouche inutile à nourrir ? Le gardait- on à la ferme simplement parce qu'un asile coûtait trop cher, ou parce qu'en dépit de sa tête vide, il était aussi costaud que ses aînés et abattait tout autant de travail qu'eux sur l'exploitation ? Sa grand-mère lui portait- elle une affection particulière ? Nul ne le sait. Henri Ducher s'est éteint à Méric le 4 février 1890.
7) Marguerite Ducher
La domestique de la famille est en réalité la petite-fille d'Anne Mathieu. Née à Saint-Vincent le 4 avril 1854, c'est la fille d'Antoine dit Jean Ducher ( celui qui est né en 1818) et de son épouse Antoinette Dumas. Elle travaillera chez sa grand-mère pendant environ six ou sept ans. À son tour, elle montera à Paris, et habitera rue Crussol, dans le onzième arrondissement, jusqu'à son mariage à Saint-Vincent le 28 août 1875 avec Joseph Colombier. Le couple s'installera au bourg et donnera naissance à cinq enfants. Marguerite, veuve depuis 1902, y finira sa vie le 13 mai 1945.
Quelle fut la suite ?
Après une vie bien remplie, à cultiver la terre et faire fructifier son domaine, à nourrir et chérir sa nombreuse descendance, la matriarche Anne Mathieu a quitté ce monde le 18 mars 1871, laissant probablement un grand vide. Antoine Ducher, son petit-fils, a comme prévu hérité de la ferme familiale. Il a épousé en 1877 Élise Maury, native de Saint-Paul de Salers, qui lui a donné cinq enfants. Selon la tradition , c'est leur fils aîné, Antoine dit Eugène, né en 1878, qui reprendra la ferme. Antoinette Borderie, veuve Ducher, est décédée le 20 février 1892. Antoine, à la tête du domaine familial, y voit grandir ses enfants, et un jour, il l'espère, ses petits-enfants.
Son fils Eugène épouse en 1909 Mathilde Barrier. L'héritier tant espéré se fait attendre. À l'été 1914, la guerre est déclarée. Son frère cadet, Joseph, est tué à Verdun. Antoine Ducher meurt à son domicile de Méric le 11 août 1923, à 83 ans.
Eugène et Mathilde n'ont jamais eu d'enfant.
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