Jean Ducher, l'infatigable patriarche
- houelse
- 5 déc. 2023
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Le fou a disparu. C'est à peu près ainsi que l'on commentait l'évènement, en ce début de juillet 1900, à Saint-Vincent, petit village de la vallée du Mars. Depuis le 8 juillet, lendemain de la fête patronale, mon ancêtre Jean Ducher a disparu.
La famille, dans un premier temps, ne s'affole pas. Jean est "déséquilibré, mais [a] de temps à autre des lucidités", selon un article publié dans l'Auvergnat de Paris le 12 août 1900. Il est coutumier du fait: il "fugue" ainsi parfois, durant quatre ou cinq jours, partant marcher dans les montagnes, puis revient comme si de rien n'était. Si sa raison vacille, ses jambes le portent bien. Veuf depuis trois ans, Jean a quelque peu perdu la raison avec l'âge. Il lui arrive fréquemment de " [parler] pendant la nuit muni d'un râteau" (??).
Jean a quatre-vingt-deux ans. Il a passé toute sa vie à Saint-Vincent, où il est né le 24 mai 1818, cinquième des neuf enfants d' Antoine Ducher (1774-1836) et d' Anne Mathieu (1787-1871). Il exerçait la profession de terrassier. Le 24 janvier 1852, il épousa Antoinette Dumas (1831-1897) , que l'on surnommait "la Môme" en raison de sa beauté. Le couple a eu dix enfants -dont sept sont toujours en vie- et une très nombreuse descendance.
Au village vivent ses filles, Anne Audigier, Marguerite Colombier, Marguerite Vigier et Marguerite Vigouroux (mon ancêtre) avec leurs époux et enfants respectifs. Que s'est-il passé le 8 juillet? D'après l'article de l' Auvergnat de Paris, dont l'auteur pointe avec virulence la supposée négligence de la famille, il y avait la fête patronale la veille, et Jean, "ayant un peu trop fait honneur à la bouteille (...) se dirigea vers la rivière, la franchit,et se mit à gravir le flanc sud de la vallée". Jean était toujours accompagné de son petit chien. Lorsque celui-ci revint seul, trois jours après, on commença à s'inquiéter. Des recherches furent entreprises, en vain. L'auteur de l'article déclare que "sa famille, entièrement indifférente, ne s'inquiéta point et ne fit que de très courtes recherches".
Début août, le maire de Saint-Vincent, Henri Lafarge, organise une nouvelle battue. Et deux heures plus tard, c'est le gendre, Jean Vigouroux, qui fait la macabre découverte au pied d'un rocher, au Cros de la Virine: le cadavre en état de putréfaction a été dévoré par les animaux, deux chats affamés sont encore en train de s'en nourrir. Selon les premières constatations, Jean Ducher a dû glisser et se retrouver en contrebas du rocher, sans pouvoir se relever malgré une lutte acharnée dont témoigne la terre remuée près de ses pieds et de ses mains.

" Peut-être même souffrit-il longtemps", peut-on encore lire dans l'Auvergnat de Paris, "avant que de son aile froide la mort vînt l'abattre, au milieu des bois, perdu et sans le moindre secours. Juillet dardant sur son corps ses rayons brûlants l'avait d'abord décomposé puis desséché, et les mouches et animaux de toutes sortes s'en étaient servi de proie de sorte qu'on n'a trouvé que des loques immondes". On redescendit le corps, placé sous la garde de deux gendarmes en attendant que la sous-préfecture délivre un permis d'inhumer. La gendarmerie de Salers mena l'enquête, et, selon un article plus laconique du Réveil de Mauriac en date du 8 août 1900: " Le 5 août courant, vers 11 heures du matin, le nommé Jean Vigouroux a trouvé au pied d’un rocher le cadavre, déjà en putréfaction, du nommé Jean Ducher, disparu de St-Vincent le 8 juillet dernier. La gendarmerie de Salers s'est transportée aussitôt sur les lieux et, après une sérieuse enquête, a admis le caractère purement accidentel de la mort de Ducher. "
Comment a réagi la famille suite à cet article? Il est dommage que nous n'ayons aucun témoignage à ce sujet. D'après son auteur, cet évènement suscita un choc dans la commune et de vives critiques à l'égard de la famille Ducher, ainsi que du maire Henri Lafarge que l'on accusa de n'avoir pas fait grand-chose. Jean Ducher repose désormais dans le petit cimetière, à l'entrée du village, le regard tourné vers ces montagnes qu'il aimait tant parcourir.
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