Le contrat du père Mathieu
- houelse
- 4 juin
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1) Une famille recomposée
En ce mercredi 19 août 1716, la maison de Géraud Mathieu est bien pleine. Marchand à Colture, village de la paroisse de Saint-Vincent ( Cantal), ce dernier a réuni chez lui plusieurs notables pour un évènement solennel: il y a là Cavaroc, le curé de Saint-Vincent, Géraud Ferluc, notaire royal à Tournemire, Pierre de Chadefaux, (beau-père de Géraud) et de nombreux membres des familles Mathieu, Pigeolat et alliés. Géraud Mathieu, après différents arrangements, fait rédiger le contrat de mariage de son fils aîné Pierre-Jean Mathieu avec " honneste fille" Marguerite Pigeolat. L'union sera célébrée le jour-même. Sa future bru n'est autre que sa belle-fille.

À (environ) quarante-deux ans, Géraud Mathieu ( mon Sosa 2000) est deux fois veuf. Il est né vers 1674, probablement à Saint-Vincent, de l'union de Pierre Mathieu et Françoise Bouchy. De ses deux mariages sont nés sept enfants dont cinq sont toujours en vie. Le plus jeune d'entre eux a un an.

Géraud épousa le 14 février 1698 Marie de Chadefaux. De ce mariage il eut deux enfants : une fille Antoinette, qui ne vécut pas longtemps , et un garçon prénommé Pierre-Jean, né vers 1704. L'union de Géraud et Marie ne dura guère car cette dernière décéda prématurément, vers 1705.

Le 15 septembre 1705, il convola en secondes noces avec une jeune veuve originaire de Saint-Martin Cantalès: Anne Laparra, âgée d'environ vingt-cinq ans, avait épousé en 1698 Pierre Pigeolat, marchand chaudronnier à Saint-Projet de Salers. Le jeune couple s'apprêtait à accueillir son premier enfant lorsque Pierre fut brutalement arraché à l'affectation des siens le 20 juin 1699. Leur fille unique, Marguerite, naquit à Saint-Projet le 3 juillet suivant.

Les deux veufs, Géraud et Anne, s'unirent donc en ce début d'automne 1705, et la famille recomposée s'installa à Colture: y cohabitaient les deux époux, Pierre-Jean, le fils de Géraud et Marguerite, la fille d'Anne.
Ainsi Pierre-Jean Mathieu et Marguerite Pigeolat se connaissaient depuis l'enfance, n'imaginant pas qu'ils deviendraient un jour mari et femme. Le premier fils de Géraud et Anne est né à Colture le 18 juin 1706 et fut appelé Pierre-Jean comme son aîné. Il est probablement mort en bas âge. Dans les années qui suivirent, quatre autres frères et soeurs vinrent agrandir la famille. Mais un évènement tragique met fin à cette harmonie familiale : Anne meurt en couches le 11 avril 1715, en donnant la vie à son dernier fils. Géraud se retrouve donc seul avec ses cinq enfants Pierre-Jean ( environ 16 ans) , Antoine (8 ans) Françoise (environ 6 ans) , Marguerite (4 ans), Pierre le nouveau-né et sa belle-fille de seize ans, Marguerite Pigeolat.
On propose ( ou impose?) alors à Pierre-Jean et Marguerite de se marier. La situation familiale étant un peu complexe, Géraud fait établir un contrat de mariage afin de ne léser personne.
2/ Les termes du contrat

Marguerite Pigeolat a nommé pour curateur son oncle Jean Ferluc, marchand à Saint-Projet. D'autres " parents maternels et paternels" sont également présents, qui, " de leur bon gré icy ont reconnu mariage avoir été proposé (...) pour iceluy accomplir avec les cérémonies de la Sainte-Eglise". Marguerite possède la somme de 2200 livres, constituée par l'héritage de son père Pierre Pigeolat dont elle est l'unique descendante et par conséquent la seule héritière. Avec l'accord de sa famille, elle prête la totalité de cette somme à son oncle paternel Jean Pigeolat, marchand à Saint-Projet. Ce dernier s'engage à la rembourser sur plusieurs années.
Géraud Mathieu, quant à lui, fait une donation " pure, simple et irrévocable" de ses biens à Pierre-Jean et Marguerite. En contrepartie, il finira ses jours sur la propriété familiale de Colture auprès de son fils et de sa belle-fille, et de leurs éventuels descendants. Les autres frères et soeurs toucheront compensation : la somme de 200 livres chacun pour Antoine et Pierre, et " la somme de 400 livres avec des meubles convenables" pour Françoise et Marguerite, dont tous bénéficieront " lors de leur majorité ou mariage". Pour l'instant, les frères et sœurs sont encore bien jeunes et resteront sous le toit de leur père; ils seront " entretenus dans ladite maison [ familiale] en y rapportant leur travail et industrie ".
Il est en outre " accordé que le survivant desdits époux gagnera sur les biens du prémourant (...) la somme de 150 livres réciproquement payable un an après le cas arrivé". Le contrat fut signé par Géraud et son fils Pierre-Jean, Antoine Cavaroc " prestre bachelier en théologie, et prieur [ du présent lieu] ", Beausire Raoux, " prestre", Ferluc, notaire royal, et tous les témoins, à l'exception de la future mariée et du grand-père maternel de l'époux qui ne savaient pas écrire.

Ainsi, le mariage fut promptement célébré par le curé Cavaroc et tient en à peine quatre lignes d'une écriture pointue et peu lisible sur le vénérable registre de Saint-Vincent. Le contrat fut respecté et la famille recomposée continua à vivre sur le domaine de Colture. Géraud Mathieu, l'esprit apaisé, vit avec satisfaction naître et grandir sa descendance.
3) Postérité
Le mariage de Pierre-Jean Mathieu et Marguerite Pigeolat fut fécond : ils donnèrent la vie à neuf enfants, dont mon aïeul Antoine Mathieu, né à Colture le 27 avril 1726. Respectant les termes du contrat, ils habitèrent dans la maison familiale avec le grand-père, Géraud, qui vécut suffisamment longtemps pour connaître tous ses petits-enfants. Les frères et sœurs de Pierre-Jean continuèrent leur vie sur la paroisse de Saint-Vincent :
Le 10 septembre 1735, Antoine épousa Marguerite Conort, deux jours seulement avant la naissance de leur premier fils, Pierre-Jean. Ils auront neuf enfants en tout.
Françoise épousa le 3 février 1742 Antoine Dufayet, de Trizac. Ils s'installèrent à Lafarge, hameau de Saint-Vincent, où ils fondèrent une nombreuse famille et où elle s'éteignit en 1775.
De Marguerite et Pierre ne subsistent aucune trace, sans doute sont-ils morts très jeunes, les lacunes des registres paroissiaux ne permettent pas de le confirmer.

À Colture, Géraud Mathieu passa ses vieux jours entouré de ses descendants. Le 11 août 1746, Marguerite Pigeolat toucha les 150 livres promises sur le contrat: son époux Pierre-Jean, qu'elle côtoyait depuis l'enfance, s'éteignit. Elle s'occupa du vieux Géraud, qui partit rejoindre son fils dans la tombe le 1er septembre 1749, à l'âge honorable de soixante-quinze ans.
Selon l'usage, le fils aîné, mon aïeul Antoine, hérita du domaine. Marguerite assista, le 24 mars 1751, à son mariage avec Catherine Broquin et vit avec joie naître leur premier enfant neuf mois plus tard. Deux soeurs et un frère complèteront la famille, avant que le couple ne se sépare en 1759. Marguerite Pigeolat, veuve Mathieu, s'éteint à Colture le 17 mai 1764.
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