Le mariage est annulé
- houelse
- 17 sept.
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Lorsque Jean-Marie Sandrier lui demande de signer, mon arrière-arrière-arrière-grand-tante Claudine Bajard, penaude, se voit contrainte d'avouer qu'elle ne sait pas écrire. Le notaire s'en doutait, c'est encore le cas de beaucoup de paysannes brionnaises en ce milieu du dix-neuvième siècle. Mais peu importe, écrire ne lui sert à rien dans son métier de domestique de ferme, et nul besoin de savoir écrire pour passer un contrat de mariage.

À l'approche de la quarantaine, Claudine saisit une chance tardive , la dernière peut-être, de se marier et de fonder une famille. Nous sommes le 20 avril 1849 en l'étude de Maître Sandrier, notaire à Chauffailles. La famille de Claudine et celle de Laurent Montégu sont réunies pour la rédaction de leur contrat de mariage.
Le futur époux est cultivateur à Chauffailles, où il est né en 1819. À la communauté de biens il apporte la somme de 300 francs. Le trousseau de Claudine est bien maigre aussi : pour tout mobilier un simple lit, avec un peu de literie, de la toile, six serviettes et des rideaux en cotonne, le tout évalué à 202,50 francs.
Voilà tout ce qu'a pu économiser Claudine en une vie de labeur , après des décennies à travailler comme "aide de ménage " sur la commune voisine de Saint-Germain la Montagne (Loire). Elle espère sans doute une vie un peu plus confortable auprès de son futur époux. Ses frères et sœurs, eux, sont déjà tous mariés (à l'exception de Philippine) et ont engendré une ribambelle de neveux.

Claudine a vu le jour le 17 septembre 1809 à Saint-Racho, sur le domaine de la Velle qui appartient à son père Philibert - déjà âgé de cinquante-trois ans au moment de sa naissance - et de sa seconde épouse Jeanne Chanrion. Elle y grandit auprès de ses trois soeurs aînées ( Jeanne, Philippine, et Claudine première du nom) sans compter la présence de François, son demi-frère revêche, né en 1792 de la première union de Philibert. Claudine a cinq ans lorsque la famille accueille un dernier frère, Jean-Marie.

Elle n'a que dix-sept ans lorsque son père meurt, le 16 mars 1826. Claudine a alors déjà quitté le foyer pour gagner sa vie comme domestique dans les communes environnantes. En vertu du testament qu'il a rédigé peu avant de mourir, Philibert Bajard lègue à sa fille - à égalité avec tous ses autres enfants et sa veuve- un septième de ses biens. Ce sont les deux fils qui exploiteront le domaine. François s'est marié il y a quelques années et vit toujours à la Velle. Le cadet Jean-Marie n'a que douze ans, mais travaille déjà sur la ferme. Le destin des soeurs est alors tout tracé : aller chercher fortune ailleurs et se marier pour mieux vivre.
Dès l'année suivante, on célèbre le mariage de Jeanne, la soeur aînée. Puis Claudine - première du nom- convole en 1833. Enfin Jean-Marie, le cadet, épouse le 11 août 1838 Antoinette Augay. Tous fonderont une nombreuse famille. Claudine, désormais, ne sera plus vieille fille, elle va à son tour se marier et espère donner à sa vieille mère quelques petits-enfants supplémentaires.
Hélas, tous ses projets s'effondrent brutalement. Pour une raison inconnue, le mariage n'eut jamais lieu. Le 28 juin 1849, Laurent Montégu épouse une autre femme, nommée Antoinette Ballandras. Dispute ? Désaccord des familles ? Vice de procédure ? Impossible aujourd'hui de connaître la raison de cette annulation. Abandonnée, en plein désarroi à l'aube de la vieillesse, Claudine se résigne à renoncer à son rêve. Finira-t-elle sa vie dans la solitude et la pauvreté ? Au plus fort de cette période sombre, elle apprend, en novembre, le décès de sa mère. Jeanne Chanrion s'est éteinte à la Velle le 19 novembre 1849 à l'âge honorable de soixante-dix-huit ans.
Après une année cauchemardesque, Claudine voit finalement son horizon s'éclaircir : n'ayant toujours pas renoncé à se marier, elle a trouvé un autre fiancé en la personne d'Antoine Aucagne, propriétaire cultivateur et tisserand au hameau de la Cystrière à Belleroche, non loin de Saint-Germain. Les bans sont publiés et le 9 février 1850, Claudine Bajard, 41 ans, épouse Antoine Aucagne, 39 ans. Le jeune couple s'installe à Belleroche où l'époux travaille la terre et l'épouse est fileuse de coton. Un an après les noces, Claudine annonce à son mari qu'elle est enceinte !

Leur fils unique voit le jour le 2 décembre 1851 à Belleroche, on lui attribue les prénoms d' Eugène-Marie. Le garçon grandit à la ferme de la Cystrière, puis cultive la terre auprès de son père qui lui apprend également le métier de tisserand

Le 19 janvier 1873, Antoine et Claudine consentent au mariage de leur fils Eugène avec Louise Sambardier, domestique à Belleroche. Le jeune couple s'installe à la Cystrière avec les parents Aucagne.

Le 3 novembre, Antoine et Claudine font la connaissance de leur première petite-fille, Antonia. Le 4 janvier 1875, Claudine a encore la joie d'assister à la naissance d'un petit-fils. Le cadet d'Antonia sera prénommé Benoît-Marie. Malheureusement, la grand-mère n'aura pas la chance de les voir grandir ni de connaître leurs frères et soeurs : Claudine Bajard s'éteint à la Cystrière le 6 août 1875, en plein coeur de l'été. Il était onze heures du matin lorsqu'elle rendit son dernier soupir, entourée de ses proches. Elle est morte, avec une précision glaçante, à l'âge de soixante-six ans, tout comme sa sœur Claudine et son frère Jean-Marie. Le lendemain vers cinq heures du soir, Eugène, soutenu par son voisin Lucien Durousset, alla faire la déclaration en mairie.

Après les funérailles, la vie reprit ses droits. Désormais veuf, Antoine Aucagne resta à la Cystrière auprès de son fils et de sa bru. D'autres enfants vinrent agrandir la famille : Virginie en 1876 et Pierre en 1879. Mais un évènement tragique les obligea à déménager : dans la matinée du 10 juin 1880, leur maison fut entièrement ravagée par un incendie.

Les Aucagne restèrent quelques temps à Belleroche , où en 1881 naquit Auguste, le cinquième de la fratrie. Un dernier enfant devait naître à l'été 1884. Mais Eugène tomba malade. Transporté à l'hôpital de Beaujeu (Rhône), il y mourut le 27 mars 1884 à trente-deux ans. Lucie Aucagne vit le jour à Belleroche cinq mois après la mort de son père.
Après avoir vu mourir sa femme et son fils, Antoine Aucagne, malade, fatigué, fut emmené à l'hôpital de Beaujeu, au printemps 1886. Il rejoignit sa Claudine le 22 avril.




On peut imaginer les risques encourus pour une 1ere grossesse à cet âge
Claudine aura eu la chance d'avoir un enfant ... un seul, mais quant les espoirs étaient minces, c'est une vraie chance