
Mon arrière-arrière-grand-tante Elisa Ducher a vu le jour à Saint-Vincent ( Cantal) le 26 juin 1866. Pour l'état civil, elle se prénomme Marguerite, comme deux de ses sœurs aînées, comme sa demi-soeur, et comme sa grand-mère maternelle. Après avoir eu en 1863 un second fils, prénommé Antoine, c'est donc une fois de plus la naissance d'une fille que Jean Ducher va déclarer au maire Firmin Du Fayet de la Tour, avec l'assistance de Pierre Tible, cordonnier, et de Jacques Dumas, facteur rural. Elisa grandit au bourg, entourée de ses six aînés.

Elle est ensuite placée comme servante chez la famille Faure, au Coudonnier, un hameau de Saint-Vincent. Les Faure semblent être une famille de cultivateurs plutôt aisée, car huit domestiques travaillent sur leur domaine. Son frère aîné, Antoine, y travaille également.

C'est le 27 mars 1884, en la mairie de Saint-Vincent, que Mademoiselle Ducher devient officiellement Madame Vigier. L'acte est rédigé par le maire, Théodore de Scorailles.
La mariée est très jeune et encore mineure. L' époux a 26 ans, un physique plutôt classique, les cheveux châtains et les yeux gris. Orphelin très jeune, il est né au Falgoux le 21 août 1857, et a largement satisfait à ses obligations militaires, après plus d'un an passé en Afrique.

Sa fiche matricule précise qu'il " a fait partie des colonnes appelées à réprimer des mouvements insurrectionnels sur le territoire algérien" entre juillet 1881 et décembre 1882. En effet, cet épisode historique, connu sous le nom de '' l'insurrection du sud-oranais", opposait le Cheikh Bouamama, un chef rebelle menant bataille contre le colonisateur français, qui occupait l'Algérie depuis 1830. Les combats firent de nombreux morts des deux côtés. Il faudra cependant attendre les accords d'Evian, en 1962, pour que l'Algérie devienne un état indépendant.
Antoine Vigier est venu retrouver le calme de sa vallée natale fin 1882 ou début 1883. Il exerce la profession de scieur de long au Vaulmier, le village voisin. Les témoins du mariage sont Guinot Vigier, son frère, Blaise Raboisson, son beau-frère, Joseph Colombier et Jean Audigier, les beaux-frères d'Elisa.
Le couple s'établit au Falgoux et leur première fille, Antoinette, naît le 5 janvier 1886. La pauvre enfant est fragile et meurt quelques jours plus tard. À la fin de cette même année, Antoine et Elisa accueillent un nouvel enfant dans leur foyer: c'est à nouveau une fille qu'ils prénomment Marie.

À l'été 1889, la famille Vigier quitte la vallée du Mars et s'installe dans le onzième arrondissement de Paris, au 49 rue de la Roquette. C'est un quartier grouillant d'auvergnats partis conquérir la capitale. À cette époque, Elisa est de nouveau enceinte. Leur nouvelle adresse est au 4 passage des Bains quand naît leur unique fils, Pierre, le 17 novembre 1889. Tous deux travaillent alors comme journaliers. Les Vigier emménagent impasse Thiéré en mai 1893 . Deux autres filles viennent agrandir la famille : Julie, le 13 novembre 1897 et Marcelle le 18 janvier 1900. Cette dernière, hélas, meurt à l'âge d'un an et demi. Le temps passe, effaçant un peu la douleur d'avoir perdu un deuxième enfant. Mais le destin laissera peu de répit à la famille Vigier.

Antoine Vigier ne verra pas grandir ses enfants, et ne connaîtra jamais ses petits-enfants; il meurt à son domicile du passage Thiéré le 19 mai 1903. Sans doute malade, il expire à une heure du matin. Le décès est déclaré en mairie par Pierre Ducher, le frère d'Elisa et un voisin, Jean Marquès. Tôt mariée et tôt veuve, Elisa se retrouve, à 37 ans, seule avec trois enfants de 14, 8 et 6 ans à élever. L'aîné apprendra le métier de forgeron, il n'a sûrement pas eu beaucoup le choix, il faut bien faire rentrer de l'argent pour payer le loyer. Par la suite, Marie est embauchée comme modiste, métier qu'elle exercera encore à l'époque de son mariage. Sa cadette, Julie, trouve un emploi de cartonnière.
Le 23 novembre 1911, Elisa marie sa fille aînée. À 25 ans, Marie Vigier épouse Gilbert Lacour, plombier d'un an son cadet. Natif de Clichy-la-Garenne, il vit rue Héricart.
À la fin de l'été 1914, la guerre éclate. Le gendre, Gilbert Lacour, est mobilisé mais sa " campagne contre l'Allemagne" ne durera que dix jours. Il a attrapé une très mauvaise bronchite et devra être soigné, avant d'être réformé définitivement et de regagner ses foyers. Pierre Vigier, que tout le monde surnomme Henri, est mobilisé le 3 août, comme Gilbert. Bon pour le service, il restera au front.

Le 13 mars 1915, Elisa devient grand-mère : les époux Lacour accueillent une petite fille prénommée Denise en leur foyer du 5 passage des Taillandiers. Elisa accompagne son gendre pour la déclaration en mairie et signe avec lui en bas de l'acte. En mars 1916, Henri est évacué vers l'hôpital de Moulins, il souffre d'un ver solitaire. Rapidement guéri, il regagne le front, où une lettre lui apprend la triste nouvelle de la mort de sa nièce Denise le 28 juin. L'enfant avait été placée en nourrice à Saint-Vincent chez sa grand-tante Anna Vigouroux - soeur cadette d'Elisa. En décembre 1917, Henri est de nouveau hospitalisé, cette fois-ci pour dyspepsie ( troubles sévères de la digestion). Quinze jours plus tard, il est de retour sur le front.

La guerre se termine enfin, Henri regagne la capitale juste à temps pour assister au mariage de sa sœur Julie: le 13 septembre 1919, elle épouse Alexandre Lachaussée, journalier, né à Étampes en 1899. Alexandre et Julie accueillent un premier fils, André, le 27 janvier 1920. Le 15 avril, Henri se marie à son tour. Il ne va pas chercher sa promise très loin, il s'agit de sa cousine germaine Justine Vigouroux ( la mère de Justine est la tante maternelle d'Henri). Cette dernière est née en 1894 à Saint-Vincent et vit actuellement au 11 passage Thiéré, chez sa tante Elisa. Tante qui devient donc sa belle-mère.
Le 26 juin 1920, jour de son 54ème anniversaire, Elisa se rend à la mairie du troisième arrondissement pour déclarer le décès de son petit-fils André Lachaussée, âgé de cinq mois. Alexandre et Julie auront quelques années plus tard un autre fils, qu'ils prénommeront André-Lucien.
En 1921 naît Roger Vigier, premier fils d'Henri et Justine, à la maternité de la rue de Chaligny (Paris 12ème). Il sera suivi de Paulette en 1922, et de Jean en 1924. La famille décide ensuite de quitter Paris. Henri et Justine Vigier retournent vivre au Falgoux. Leur dernier fils, Marcel, naît le 17 décembre 1930 à leur domicile du hameau d' Escompeyre.

Les enfants Vigier grandissent au village. Non loin, dans la commune de Saint-Vincent, habite leur grand-mère maternelle, Anna Vigouroux. Sa sœur Elisa est restée vivre à Paris, dans l'éternel logement du Passage Thiéré. C'est là qu'elle passera seule les dernières années de sa vie. Les Lacour - qui ne semblent pas avoir eu d'autres enfants - et les Lachaussée demeurent eux aussi à Paris.
Elisa connaîtra les débuts de la deuxième guerre mondiale; elle verra Paris occupé par les Allemands, puis Paris libéré et quelques mois plus tard, aura la tristesse d'apprendre la disparition de sa cadette, Anna, le lendemain de Noël 1945. Désormais seule survivante de sa fratrie, elle sait que la Faucheuse viendra la chercher un de ces prochains jours. Elle pourra cependant assister au mariage de Roger en 1946 et à celui de Paulette en 1949. Sa longue vie arrive bientôt à son terme. Elle s'apprête à rejoindre Antoine, qui l'a quittée voilà presque cinquante ans.

Devenue arrière-grand-mère, Elisa Vigier s'éteint paisiblement à son domicile du passage Thiéré, dans la matinée du 28 mars 1952.

Cette montée à Paris, de ces auvergnats partie intégrante de la Capitale. Merci Sébastien