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Les souvenirs de Mme Dumas, épisode 3: le temps des adieux

houelse

Dernière mise à jour : 18 févr.


Mon aïeule Marguerite Borderie, née à Anglards-de-Salers en 1793, a perdu sa mère très jeune. Remarié, son père se retrouve veuf pour la deuxième fois quelques années plus tard. La famille s'installe alors à Saint-Vincent, et démarre une nouvelle vie. Marguerite épouse en 1819 Pierre Dumas, un honnête rémouleur. Le couple a six enfants : Antoinette (1819-1844), Élisabeth ( née en 1821), Jean ( 1823), Anna (1831) Philippe (1834) et Jacques (1837). Certains vivent toujours au bourg, d'autres sont partis à Paris. 



En ce début de l'année 1861, Madame Dumas est donc une mère et une grand-mère comblée. Ses six enfants sont mariés, et elle a à présent neuf petits-enfants, le dernier en date étant né fin mars chez Anna et son mari Jean Ducher, qui habitent près d'elle. Elle regrette, on l'imagine, de ne pas beaucoup voir ses trois fils, et sa fille aînée Élisabeth, qui vivent à Paris. Mais elle voit quotidiennement ses petits-enfants Ducher, et la petite de Philippe ( qui vit au bourg chez sa grand-mère maternelle). Jacques prévoit de revenir vivre au village auprès de son épouse et de leur fils. Pierre, son vieux mari, bien que déjà usé par une vie de labeur et des années passées en Espagne loin de sa famille, est toujours auprès d'elle. Ils élèvent leur petite-fille Marguerite Dumas - fille illégitime d'Anna- qui a maintenant douze ans. 


Mais un tel bonheur ne saurait durer bien longtemps, et déjà l'ombre de la Faucheuse se rapproche, annonciatrice d'une dramatique série de deuils qui s'apprête à bouleverser la famille. Au tout début de l'année 1862, Madame Dumas est de nouveau au premier rang de l'église, face au choeur où trône tristement un tout petit cercueil : sa petite-fille Marie-Louise Dumas, fille de son fils Philippe, est morte le 31 décembre 1861 à l'âge de dix mois. Deux événements plus heureux surviendront à l'automne : Jacques, revenu vivre au bourg , est devenu père d'une petite Marguerite, née le 1er octobre. Catherine, l'épouse de Philippe, est aussi de retour à Saint-Vincent, où elle donne naissance à  un garçon nommé Pierre le 2 novembre. 


Le 26 octobre 1863,  Pierre Dumas ne s'est pas levé : il est à l'agonie. Le curé accourt pour les derniers sacrements, et le patriarche s'éteint en milieu d'après midi. Le maire, Firmin Du Fayet de la Tour, rédige l'acte de décès. La nombreuse famille, affligée par la disparition du pater familias, s'entasse dans l'église glaciale pour un dernier adieu. Marguerite est au premier rang, dans le cercueil de mauvais bois installé sous ses yeux, il y a celui qui fut son compagnon pendant près de quarante-cinq ans, et qui lui a si souvent manqué. Espérons qu'avant la mise en terre, le curé lui a rendu un hommage mérité. Ses enfants et petits-enfants - du moins ceux qui vivent toujours au village - l'entourent en ces moments douloureux; mais pour Madame Dumas - qu'on appellera désormais " la veuve Dumas"- la douleur de cette disparition est d'autant plus vive que le matin même,  sa belle-fille Catherine a mis au monde une fille prénommée Marie-Louise, que Pierre ne connaîtra pas.

 

L'année suivante, la veuve Dumas retourne par deux fois dans l'église, pour assister aux baptêmes de deux nouvelles petites-filles. 

En 1865, elle devient arrière-grand-mère : sa petite-fille Marguerite Maury a donné naissance à un garçon, dont elle épousera le père un an plus tard. En septembre 1866, de nouveau installée au premier rang, la veuve Dumas accompagne ses deux petites-filles de deux et trois ans, qui viennent de perdre leur mère. Catherine Maigne est décédée à l'âge de vingt-six ans. La jeune morte rejoint dans la tombe son fils aîné, Pierre , disparu l'été précédent à seulement quatre ans. Les deux fillettes seront recueillies par leurs grands-parents Maigne. Philippe Dumas, leur père, vit toujours à Paris, où il travaille comme ouvrier en comptoirs. Il se remarie le 9 mai 1867 avec Anne Laporte et devient père d'une autre fille, Marie, née à Paris en janvier 1868.  La petite famille décide de revenir vivre dans le Cantal, à Ayrens, près d'Aurillac, où habitent les beaux-parents de Philippe. Ce dernier y meurt prématurément le 29 août 1868. La veuve Dumas ne pourra sans doute pas se rendre aux obsèques de son fils. 


Les années passent et le poids des ans se fait sentir. Au début des années 1870, la matriarche va vivre chez sa fille Anna et son gendre Ducher. Habitent là les plus jeunes enfants du couple: Pierre, Antoine, Élise, Anna et la pauvre Louise, qui s'éteint le 7 mai 1873, à deux ans et demi. La même année, le 27 août,  le fils cadet de la veuve Dumas, Jacques, disparaît à l'âge de trente-cinq ans. Il laisse une veuve et cinq jeunes enfants que leur grand-mère, à présent âgée de quatre-vingts ans, s'efforcera de soutenir de son mieux.


En 1876, quatre générations vivent sous le toit des Ducher ( Anne Ducher est revenue chez ses parents avec ses deux filles illégitimes). 




Le 20 novembre 1877, l'aîné des fils Dumas, Jean, s'éteint à son domicile du onzième arrondissement de Paris, à cinquante-quatre ans. Il laisse pour héritière sa fille de dix-sept ans. Sur les six enfants que Marguerite a eus avec Jean, il ne reste plus que sa fille Anna, chez qui elle vit, et son autre fille Élisabeth, qui est à Paris. De ses six enfants, Marguerite a eu au moins vingt-trois petits-enfants, dont dix-huit sont encore en vie. Elle a pu connaître dix-huit de ses arrière-petits-enfants. Elle vivra ses dernières années chez sa fille, regardant paisiblement grandir ses descendants. 



Marguerite le sait, elle ira bientôt rejoindre ses chers disparus. Elle a passé huit décennies sur cette Terre, et est entrée depuis peu dans sa quatre-vingt-dixième année. Que de choses se sont passées en quatre-vingt-dix ans! Née pendant les années noires de la Révolution Française, elle a vécu presque tout le dix-neuvième siècle, connu deux empires, deux monarchies et trois républiques. Le siècle qu'elle vient de traverser a été marqué par la révolution industrielle et l'exode rural. Marguerite n'a jamais quitté son canton, alors qu'une bonne partie de ses descendants est partie vivre à Paris ou ailleurs. Elle n'a jamais appris à lire et à écrire, alors que ses arrière-petits-enfants, grâce à une loi récente, pourront bénéficier d'une instruction gratuite. Le siècle suivant, à n'en pas douter, leur offrira un avenir merveilleux. 

L'hiver s'en va et le printemps arrive. Il fait encore froid pour la saison, mais les journées sont belles. Nous sommes le 17 avril 1883. Il est dix heures du soir. Marguerite Borderie, veuve Dumas, est entourée de ses proches lorsqu'elle ferme les yeux et s'endort pour la dernière fois. Deux jours plus tard, le glas retentit à nouveau dans la vallée. Au fond de l'église, des rayons de soleil transpercent les vitraux , jetant sur le cercueil des éclats multicolores. Cette fois, Marguerite n'est pas au premier rang. 




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