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Gabriel Veyssière, le buronnier

houelse

18 juin 1954. En ces années d'après-guerre, la vie a repris son cours dans les villages, et sur les hauts plateaux du Cantal. Au Falgoux, il y a, comme un peu partout sur ces rudes montagnes, des burons, ces bâtisses de pierre construites tout en haut de la montagne. Les vachers, avec leurs troupeaux qui paissent sur le plateau, y passent la période de mai à octobre. On appelle cela l' estive. Dans les burons, les fermiers fabriquent le fromage, notamment le Cantal. Au hameau de La Tuile, ce jour-là, les buronniers ont interrompu leurs tâches quotidiennes pour une raison dramatique : l'un des leurs vient de mourir. Il s'agit de mon arrière-grand-père Gabriel Veyssière. Le compte à rebours de sa vie avait commencé 67 ans plus tôt.



Gabriel Veyssière, âgé d'une dizaine d'années

Le 20 septembre 1886, au village de la Maréthie, sur la commune du Falgoux (Cantal ) un heureux événement a lieu: mon aïeule Jeanne Vidal donne naissance à un garçon qui deviendra mon arrière-grand-père. Tout s'est bien passé, et son père Jean Veyssière doit à présent descendre au bourg pour effectuer la déclaration en mairie. Et cela tombe bien, car justement, son beau-frère François Vidal, qui vit avec eux, est le maire de la commune. Ainsi, le tonton rédige, de sa belle écriture, l'acte de naissance de son neveu Pierre-Gabriel Veyssière. Entouré de ses quatre frères aînés, l'enfant grandit dans la ferme de ses parents. C'est un garçon plutôt chétif, aux cheveux clairs et aux yeux bleus. Une soeur et deux petits frères viendront compléter la fratrie.



Le 17 juin 1905, un drame frappe la famille: Félix Veyssière, 21 ans, meurt prématurément. Peut-être malade, ou suite à un accident, il s'est éteint, bien trop jeune, "dans la maison qu'il habitait" avec ses parents et sa fratrie. C'est Pierre-André Vidal, son oncle, qui déclare le décès avec l'assistance de l'instituteur Jean Roux. Après ce deuil cruel, la vie reprend son cours. En 1906, toute la famille vit encore à la Maréthie.


Gabriel a maintenant vingt ans, c'est l'âge du service militaire. Les frères Veyssière sont de constitution fragile, et même plutôt souffreteux. Louis a été ajourné pour "faiblesse" par deux fois, puis classé en " service auxiliaire". Pierre a été ajourné en 1903 pour " faiblesse ", puis exempté en 1904 pour atrophie musculaire. Gabriel passe au conseil de révision en 1907, et à l'instar de ses frères, il est exempté pour

" faiblesse générale". Il retourne donc auprès des siens, et reprend son travail à la ferme familiale.



Pour les frères Veyssière, il est à présent temps de songer à prendre femme et fonder une famille. En 1910, Louis se marie avec Marie-Antoinette Ducher. Il quitte le cocon familial pour s'installer au Vaulmier puis à Saint-Vincent, où ils auront deux enfants, Jeanne et Albert. L'année suivante, on célèbre deux noces dans la famille Veyssière : Françoise, l'unique fille, épouse le 19 août Pierre-Antoine Vizet, domestique au Falgoux. Leur seule enfant, Jeanne, naît en 1913. Jean-Marie, le frère aîné, convole avec Angeline Vigier. Ils vivront au Vaulmier où naîtront leurs neuf enfants.

Entrefilet dans L'Auvergnat de Paris, 29 avril 1914

Quelques années plus tard, Gabriel a trouvé sa promise en la personne de Berthe Vigouroux, cultivatrice à Saint-Vincent, où elle a vu le jour en 1892. Je vous ai raconté la vie de Berthe dans cet article: Berthe Vigouroux, la dame en noir. Les bans sont publiés au printemps 1914, et, le 22 avril, le maire de Saint-Vincent Henri Lafarge unit le couple. Gabriel a alors 27 ans et travaille comme cultivateur au village de la Saliège, commune du Vaulmier. Ses parents, qui vivent toujours à la Maréthie, sont " présents et consentants". Berthe a 21 ans et vit au bourg avec ses parents Jean Vigouroux et Marguerite dite Anna Ducher. Berthe et Gabriel ont pour témoins de leur union Antoine Chabrier et Frédéric Jarrige, fermiers à la Saliège, et les deux frères de Gabriel, Jean-Marie et Louis. Le couple s'installe à Saint-Vincent.




En plein cœur de l'été, la guerre éclate. Quelque part dans un pays lointain, un fou a assassiné un archiduc, embrasant l'Europe entière. C'est la mobilisation générale.

Tous les hommes jeunes et valides sont convoqués pour aller défendre la patrie. Les frères Veyssière, quelque peu inquiets comme leurs voisins et amis, seront dans un premier temps épargnés. Pierre et Frédéric sont définitivement exemptés et échappent à la mobilisation.


Gabriel repasse devant le conseil de révision et est de nouveau exempté le 5 décembre 1914. C'est un soulagement - provisoire - d'autant plus que Berthe est enceinte: neuf mois après leur mariage, Gabriel et Berthe accueillent leur première fille. Marie-Louise Veyssière naît à dix heures du matin le 23 janvier 1915, dans la maison familiale du bourg de Saint-Vincent. À seize heures, Antoine Chaulet ( cultivateur) et Louis Mathieu ( forgeron) accompagnement Gabriel pour faire la déclaration de naissance à la mairie. Sa sœur cadette, Jeanne, vient au monde le 4 mars 1917. Elle a deux mois et demi lorsque Gabriel, finalement classé en " service armé", est mobilisé par le 139ème régiment d'infanterie d' Aurillac.


Le 23 mai 1917, c'est le coeur lourd que Gabriel quitte sa femme et ses deux petites filles. Il n'a sans doute pas pu assister au mariage de son cadet Léon qui, en août, a épousé sa belle-soeur Ernestine Vigier. Passé par différents corps d'armée, et par différentes villes ( Aurillac, Montbrison, Perpignan puis Nantes), il sera finalement démobilisé le 11 mars 1919 et rentrera chez lui sain et sauf. Ses frères Louis et Léon, qui eux aussi avaient été mobilisés, rentrent au pays à la même période.


Malheureusement, la joie des retrouvailles cède bien vite la place au chagrin, car Jeanne Vidal s'éteint en plein coeur de l'été. Début août, tout juste cinq ans après le début de la guerre, tandis que certains pansent encore leurs plaies et que d'autres savourent la liberté retrouvée, les frères Veyssière sont réunis en l'église du Falgoux pour un dernier adieu à leur mère.



Jean Veyssière, le patriarche désormais veuf, vit à la Maréthie entouré de ses fils Pierre et Frédéric - qui resteront célibataires-, de sa fille Françoise Vizet, de son gendre et de leur fille. Il s' y éteint le 28 août 1923, dans sa 75ème année. Gabriel et sa famille s'installent ensuite au Vaulmier. En 1926, ils habitent au hameau de la Moréthie. L'oncle Frédéric vit avec eux.



Les deux soeurs, Marie-Louise et Jeanne, sont élèves à l'école communale, où elles obtiendront le certificat d'études primaires. Leur destin est tracé : diplôme en poche, il sera temps de gagner leur vie en se louant comme domestiques dans des fermes de la région, et assez rapidement de trouver un bon mari. En 1931, Gabriel et Berthe reviennent s'installer au bourg de Saint-Vincent, tandis que Marie-Louise est domestique chez Cheymol, au Coudonnier. Le 3 janvier 1934, bravant le froid dans l'église glaciale, ils donnent leur consentement à leur fille aînée Marie-Louise, encore mineure, qui épouse Maurice Lafon, cultivateur natif de Chalvignac. Neuf mois plus tard, le jour de la Toussaint, il neige à gros flocons lorsque naît leur premier petit-fils. Il aura rapidement un frère puis une soeur.


Photographie de Gabriel Veyssière,vers 1935

Les jeunes grands-parents partent ensuite vivre à Baillergues, sur la commune

d' Anglards-de-Salers. En 1939, leur fille cadette épouse Joseph Duport. Quelques mois plus tard débute la seconde guerre mondiale, et Jeanne Duport donne naissance à un fils, tandis que Joseph est prisonnier en Allemagne. Il sera libéré à la fin de la guerre.


En 1946, Gabriel et Berthe vivent au hameau du Coutil à Anglards, avec les Duport. Joseph a retrouvé Jeanne et leur fils, et ils auront trois autres enfants, dont une petite fille qui décédera à l'âge de quelques mois. Gabriel verra encore naître deux petites- filles qui viendront compléter la famille de Maurice et Marie-Louise. Il a maintenant dépassé la soixantaine et envisage de prendre sa retraite. Il faut dire que son métier de buronnier est bien dur, il monte encore tous les ans à l'estive, au buron de mai à octobre.



Au début des années cinquante, Gabriel est enfin retraité. Il espère goûter un peu de repos bien mérité après avoir trimé toute sa vie sur les rudes plateaux du Cantal, et passer ses vieux jours auprès de ses nombreux petits-enfants. Mais il faut se rendre à l'évidence : sa pension est bien maigre, à peine suffisante pour vivre. Il doit gagner davantage d'argent, et prend donc la décision de rempiler, peut-être pour une saison ou deux. Ainsi, au mois de mai 1954, Gabriel remonte au buron. Pour la dernière fois.



1 Comment


Guest
Jun 12, 2024

Merci d'avoir partagé cette biographie dans un aussi bel article.

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